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La finance islamique

  • par Julien Groux
  • 08 févr., 2022

Propos introductif

 Considérées individuellement, les économies nationales ne semblent pas avoir été affectées de la même manière par la récession économique liée à la crise sanitaire. Celle-ci a montré les forces et les faiblesses, les capacités d’adaptation et de résilience, révélé les particularités de chaque économie. La crise est un moment où tout bascule, où apparaît un dysfonctionnement majeur. Si elle peut être une période de troubles, la crise peut aussi être un kaïros, un moment à saisir pour savoir et comprendre. Parce qu’elle révèle le réel , elle est une occasion formidable de s’interroger sur le fonctionnement d’une société. Pour dire simplement comme le fait le philosophe Charles Pépin, « c’est quand cela ne marche pas que nous nous demandons comment cela marche ». Ainsi, la crise sanitaire en ce qu’elle expose les singularités propres à chaque système économique conduit ici à s’intéresser, à travers la finance islamique, à la relation qu’il existe entre religion, notamment l’Islam, le droit et l’économie.

Alors que l’Islam était pour Max Weber un obstacle au développement économique, la finance islamique est aujourd’hui en plein essor. Relativement récente, elle a pour point de départ la création de la Banque islamique du développement en 1974 qui fait la promotion du développement économique dans les pays musulmans. Les banques occidentales s’intéressent à la finance islamique qui, bien que s’adressant en priorité aux musulmans reste ouverte sur le monde. La finance islamique passionne par son appartenance à une industrie financière éthique remise en lumière par la crise des subprimes de 2008. Les principes religieux s’inscrivent dans le droit qui régule l’activité bancaire islamique.

Le droit et la religion

 Le contexte extra-juridique influence la norme qui est génétiquement liée à tout ce qui l’entoure. Elle rend possible la coexistence des individus en fixant leurs relations au sein d’une communauté, rendant alors possible la communauté elle-même. Mais la norme juridique, loi humaine, n’est pas la seule norme observable à l’intérieur d’une société. Il existe des interférences entre le droit, ordre normatif posé par les hommes et les normes religieuses. Droit et religion forment ainsi un ensemble de règles guidant l’action des hommes en société. Ces deux ensembles sont selon les époques et les sociétés plus ou moins imbriqués.


Il ne s’agira pas ici d’étudier en profondeur la pensée politique de l’Islam mais simplement de souligner dans un premier temps l’articulation particulièrement importante de ces ensembles que sont le droit et la religion.


Si le verset 59 de la sourate 4 qui affirme « Ô vous qui croyez ! Obéissez à Dieu ! Obéissez au Prophète et à ceux d’entre vous qui détiennent l’autorité » manifeste inévitablement le caractère normatif du Coran, il témoigne dans une certaine mesure d’une pensée politique qui sert de base dès l’instauration, en 622, d’un État musulman à Médine. Charles Saint-Prot dans son écrit « Le droit au cœur de l’Islam » souligne les propos de l’Islamologue Hamilton Gibb. Pour ce dernier, « le type de société qu’une communauté se construit dépend fondamentalement de sa conception de la nature et du but de l’univers et de la place qu’y occupe l’âme humaine... L’Islam est peut-être la seule religion à avoir eu constamment pour but d’édifier une société sur ce principe. L’instrument premier de cet objectif était le droit ». Même si la question politique semble s’être posée dès les prémices de l’Islam, Makram Abbès montre que la pensée islamique sur l’organisation de l’État, la gestion des affaires communes ne se construit que tardivement. Alors que la plupart des pratiques économiques et financières sont codifiées entre le VIIe et VIIIe siècle, le droit politique émerge et s’autonomise selon l’auteur avec le juriste al-Māwardī au Xe siècle. 

En rédigeant les Statuts gouvernementaux, al-Māwardī s’intéresse à des questions de droit en définissant les charges de l’imam. Il incombe au chef politique de « rendre la justice et faire régner l’équité », « mener la guerre au nom de l’Islam », « prélever les taxes et les impôts ». L’ijtihad qui est l’effort d’interprétation des juristes musulmans se manifeste donc ici parfaitement. Car si le droit musulman est gouverné par un ensemble de règles, la charia, qui repose avant tout sur le Coran et la Sunna, l’ijtihad permet au droit islamique de se renouveler et de répondre à des problématiques nées de l’évolution de la société par l’interprétation de textes fondateurs.


Ce lien entre droit et religion se répercute sur la vie économique. Les règles applicables aux relations commerciales dans le droit musulman s’inspirent des textes religieux. Le Coran interdit par exemple le prêt à intérêt. Les systèmes juridiques doivent donc s’adapter pour apporter des solutions conformes aux préceptes religieux tout en répondant aux besoins de la vie économique. En ce sens, il apparaît que la finance islamique a su, au cours du XXe siècle, apporter des innovations qui seront présentées dans cet article, permettant ainsi aux banques islamiques de renforcer leur attractivité.


De la religion à l'économie

 Aristote écrit dans La Politique « On a surtout raison d’exécrer l’usure, parce qu’elle est un mode d’acquisition né de l’argent lui-même, et ne lui donnant pas la destination pour laquelle on l’avait créé. L’argent ne devait servir qu’à l’échange ». 

La monnaie doit ainsi rester un instrument d’échange, elle sert avant tout à « exprimer la commensurabilité des objets d’échange ou jouer le rôle de mesure ». Aristote condamne le prêt à intérêt car « l’intérêt est de l’argent issu de l’argent, et c’est de toutes les acquisitions celle qui est le plus contre nature. ». La chrématistique est une perversion, le désir d’argent entraîne l’homme dans un cycle sans fin où rien « n’est jamais suffisant pour combler un désir qui ne veut plus telle ou telle richesse comme élément de son bonheur, mais l’idée même de richesse ou de bonheur. ».


Le Coran fait référence de manière très fréquente aux obligations et interdits qui touchent le domaine économique selon Omar Kettani. La conception de l’argent par la religion musulmane est proche de celle d’Aristote. En ce sens, l’Islam prohibe également le prêt à intérêt. Cette prohibition est fondamentale et centrale. « Mais ceux qui recommencent à pratiquer l’usure sont les hôtes du Feu, où ils demeureront à jamais. » énonce le Verset 275 de la Sourate 2. 

C’est ici selon Olivier Roy, politologue spécialiste de l’Islam, un appel au comportement éthique de l’individu, à la moralisation de l’action individuelle. Sans doute l’interdiction de l’usure, de la riba par le Coran manifeste la volonté de l’Islam d’imposer aux Hommes une certaine morale, une certaine rationalité au service de la collectivité. L’Islam conçoit l’argent comme un simple instrument d’échange. Le commerce de l’argent étant prohibé, les opérations financières doivent être adossées à un actif tangible, un bien réel, un sous-jacent réel. De même, la religion vient limiter l’investissement économique dans certains secteurs d’activité incompatibles aux principes musulmans. L’interdiction de l’intérêt a pour conséquence d’engendrer un système participatif dans lequel s’effectue un partage des profits et des pertes. S’instaure dès lors une solidarité dans la vie économique par la contribution collective au risque. Celui qui investit partage les risques avec celui qui entreprend. Il n’y a pas de gain garanti.


Les principes religieux imprègnent donc la finance islamique dans son ensemble. Ils se retrouvent dans les divers instruments financiers utilisés par celle-ci.


Instruments financiers islamiques

Il sera fait ici une présentation du principal instrument de financement, la mourabaha ainsi que d’un instrument de financement participatif qu’est la moudharaba qui est cependant plus marginal dans la pratique.


La mourabaha est définie par la loi marocaine relative aux établissements de crédit et organismes assimilés comme « tout contrat par lequel une banque participative vend à son client un bien meuble ou immeuble déterminé et propriété de cette banque à son coût d’acquisition augmenté d’une marge bénéficiaire, convenus d’avance ». La mourabaha est un contrat très fréquent en finance islamique.


Il comporte trois étapes successives : la demande du client au banquier d’acheter un bien, l’achat du bien par le banquier auprès du vendeur et enfin le rachat du bien par le client. Il existe donc juridiquement trois conventions. Ces contrats s’adaptent à des montages financiers complexes. Il est vrai que le contrat mourabaha peut s’apparenter à première vue à un simple emprunt tel qu’il existe dans les banques conventionnelles. 

Kaouther Jouaber-Snoussi souligne la confusion qui peut exister entre ces deux procédés d’autant plus que les banques islamiques utilisent bien souvent les taux d’intérêt du marché monétaire pour calculer la marge bénéficiaire qui va être inclue dans le prix de revente. Toutefois, comme souligne l’auteur, la différence entre le prix d’achat et le prix de vente ne se définit pas comme un taux d’intérêt mais plus comme une commission commerciale. En outre, le contrat mourabaha ne s’analyse pas comme une mise à disposition d’argent mais comme un service rendu par la banque. De même, la banque islamique n’est pas à l'abri de tout risque lors de l’opération. La mourabaha se décomposant en plusieurs phases, il existe un laps de temps entre l’acquisition du bien par la banque et l’achat du bien par le client. Pendant un temps, qui est aujourd’hui très limité, la banque supporte donc les risques pouvant affecter le bien comme sa détérioration. La mourabaha connaît un vrai succès : en 2009, ce produit représentait au Maroc près de 457 millions de dirhams.


La moudharaba est définie par la loi marocaine relative aux établissements de crédit et organismes assimilés comme étant un contrat « mettant en relation une ou plusieurs banques participatives qui fournissent le capital en numéraire et un ou plusieurs entrepreneurs qui fournissent leur travail en vue de réaliser un projet ». 

Le principe de partage des profits et pertes ne se retrouve pas entièrement. Si les bénéfices réalisés sont partagés selon une réparation dont les parties conviennent au moment de contracter la moudharaba, les pertes en revanche sont supportées exclusivement par la banque qui joue le rôle d’investisseur. Néanmoins, « en cas de négligence, de mauvaise gestion, de fraude ou de violation des stipulations du contrat » l’entrepreneur peut supporter les pertes. L’entrepreneur reste plus ou moins libre dans la gestion de son projet. Il en assume l’entière responsabilité pour le droit marocain. L’investisseur peut selon le contrat avoir un certain droit de regard sur le déroulement du projet pour lequel il a initialement apporté un capital. La moudharaba est très intéressante pour les entrepreneurs. Elle leur permet d’obtenir des fonds auprès de plusieurs investisseurs. 

Néanmoins, ce type de contrat instaure un partage des pertes et des profits ce qui induit des risques importants pour l'investisseur, cela peut expliquer que les banques islamiques contemporaines ne l’utilisent que très peu préférant largement la mourabaha. Lorsqu’il est utilisé, les banques imposent bien souvent une répartition des bénéfices à leur avantage en contrepartie du risque qu’elles acceptent de prendre.


Conclusion

La finance islamique apporte une vision nouvelle de la finance en véhiculant une certaine éthique venue de la religion musulmane. Elle responsabilise les acteurs en proposant des produits financiers innovants. La finance islamique possède certes des limites, l’interdiction des biens intangibles rend impossible certaines opérations financières mais Kaouther Jouaber-Snoussi souligne que « l'innovation reste le point fort de l'industrie financière islamique et lui confère une marge de manœuvre très importante. ».


Bibliographie

Les vertus de l’échec. Charles Pépin. Allary Éditions.

Économie islamique, principes et réalités : l'expérience récente des pays arabes. Une première évaluation. Abdelkader Sid Ahmed

Jouaber-Snoussi, Kaouther. La finance islamique. La Découverte, 2012

Finance Islamique et Développement. Ridha SAADALLAH

Le droit, la norme et le réel. Isabelle Pariente-Butterlin. Puf.

Introduction générale au droit. François Terré. Nicolas Molfessis. Dalloz.

Coran, IV, 59, D. Masson, Gallimard 1980.

Saint-Prot, Charles. « Le droit au cœur de l'Islam », Société, droit et religion, vol. 2, no. 1, 2012, pp. 143-153.

Islam et politique à l’âge classique. Makram Abbès. PUF.

Droit commercial. Françoise Dekeuwer-Défossez, Édith Blary-Clément. LGDJ.

Livre V de l’Éthique à Nicomaque. Aristote.

Berthoud, Arnaud. « Monnaie et mesure chez Aristote », Marcel Drach éd., L'argent. La Découverte, 2004, pp. 85-93.

Omar Kettani, professeur d'économie à l’Université Mohammed V de Rabat.

Olivier Roy, invité de l’émission « L'économie contre la religion », Entendez-vous l’éco ? France Culture.

Loi n° 103-12 du 1er rabii I 1436 (24 décembre 2014) relative aux établissements de crédit et organismes assimilés.

Techniques et limites de la finance participative du contrat de la mourabaha aux yeux de la loi marocaine. Mohammed Ait Mouhatta

Radi, Bouchra, et Imane Bari. « Les produits financiers alternatifs au Maroc : Pratique et perspectives », La Revue des Sciences de Gestion, vol. 255-256, no. 3-4, 2012, pp. 153-159.

La religion dans les affaires : la finance islamique. Lila Guermas-Sayegh. Fondapol.


par Eva Beauvois 22 mars, 2022
 La religion musulmane, qui regroupe près d’un milliard et demi de fidèles, repose sur plusieurs dimensions touchant l’Homme au sein de sa société et de son époque : les dimensions théologiques et juridiques. Néanmoins, il existe une dimension de l’Islam qui permet, et incite, l’individu au détachement de son environnement pour se recentrer sur sa seule unicité avec Dieu : la dimension spirituelle, notamment matérialisée par la philosophie du soufisme. L’étymologie du terme, apparu vers la fin du IIe siècle de l’hégire, reste obscure. C’est notamment sur le mot sūfī qu’est formé en arabe tasawwuf (تصوّف) , littéralement « l’adoption des valeurs et des rites soufis », que le français a traduit par « soufisme ». De façon générale, il est néanmoins possible de le caractériser comme la recherche de la sagesse intérieure, visant à se rapprocher de façon évolutive de Dieu par de nobles vertus. La présentation de ce travail idéologique d’espérance du meilleur sera l’objet de cet article.
par Jâd Delozanne 08 mars, 2022
L'art de l'Espagne islamique est un fantasme orientaliste depuis que Washington Irving l'a redécouvert pour le monde occidental dans ses délicieux Contes de l'Alhambra, écrits en 1832. Mais la citadelle et le palais du XIIIe siècle, situés au sommet d'une colline surplombant Grenade, sont non seulement les monuments les plus connus de l'ère musulmane en Espagne, mais aussi les plus grands trésors de cette période. Les Omeyyades, ou Umayyades, (en arabe : الأمــــویــــون sont une dynastie arabe qui gouverne le monde musulman de 661 à 750 puis al-ʾAndalus de 756 à 1031. Ils tiennent leur nom de leur ancêtre ʾUmayyah ibn ʿAbd Šams, grand-oncle du prophète Mahomet. Ils font partie des clans les plus puissants de la tribu de Qurayš, qui domine la Mecque. Al-Andalus était la partie de la péninsule ibérique sous domination musulmane. La péninsule ibérique désigne l'Espagne et le Portugal actuels. Dans sa plus grande extension géographique, Al-Andalus a placé sous son califat la majeure partie de la péninsule, l'actuel sud de la France et les cols alpins reliant l'Italie à l'Europe occidentale. Les musulmans ont régné sur la majeure partie de la péninsule jusqu'à la fin de la dynastie des Omeyyades au début du 11e siècle.
par Sofia Locquet 01 févr., 2022
En 1854, un diplomate français, Ferdinand de Lesseps, obtient l’autorisation de la part du khédive Mohammed Saïd de creuser et d’exploiter le canal maritime de Suez pendant 99 ans. Ce firman ouvre la voie à la création de la Compagnie de Suez, concession qui illustre l’intervention des puissances européennes en Égypte. Reliant la Mer Méditerranée et la Mer rouge, situé entre l’Europe et l’Asie, le canal est un lieu géostratégique majeur qui va servir à la fois les intérêts régionaux et commerciaux de l’Égypte ottomane et l’impérialisme européen.
par Eva Beauvois 07 déc., 2021

La culture marocaine s’exporte de plus en plus grâce à la mondialisation et ses relais, tels qu’internet et les médias. Le roi Mohammed VI a par ailleurs proposé depuis le début de son règne une politique étrangère fondée sur le libre-échange des biens, services et arts ainsi que sur le dialogue avec nombre de pays européens. Cette ouverture progressive tend à favoriser toutes les couches de la société marocaine ainsi que ses manifestations artistiques, comme celle qu’est le rap.

Cette évolution du rap marocain profite à l’entièreté du monde arabophone et à son économie. Elle se justifie par la véritable ascension d’une unité artistique puissance. Néanmoins, les premiers acteurs de cette puissance, les artistes, font face à certains obstacles politiques et institutionnels censurant leur art ou leur empêchant de gagner décemment leur vie. Fort heureusement, les supports médiatiques et leur source inépuisable de créativité permettent aux artistes marocains de faire porter leur art le plus loin possible et aux oreilles des plus chanceux. L’objectif de cet article est de témoigner de l’élévation de la culture rap marocaine sur une grande scène, celle du Maroc et potentiellement celle de l’Europe ainsi que de la volonté sans faille des artistes marocains.


par Housni Ahamada 16 nov., 2021
 Dans la continuité de son programme Vision 2030, le Royaume d’Arabie Saoudite a, le 25 août 2021, annoncé le lancement d’une série de partenariats, d’une valeur de plus de 4 milliards de riyals saoudiens (900 millions d’euros), avec les plus grandes entreprises technologiques du monde. Selon Saudi Press Agency, les objectifs fixés par le royaume sont d’améliorer les capacités numériques, de se doter d’une main d'œuvre qualifiée en encourageant la recherche et le développement afin de faire du pays un hub mondial de l’innovation numérique.

Ce récent évènement montre l’ambition de l’Arabie Saoudite, mais plus généralement des pays arabes, dans la course mondiale à l’innovation technologique et plus particulièrement dans le secteur de l’intelligence artificielle. Machine learning, deep learning, voitures autonomes, reconnaissance faciale, villes intelligentes et même robots pour certains ; les grandes puissances de ce monde sont entrées dans une course à l’innovation dans l’intelligence artificielle, considérée comme la quatrième grande industrialisation. Bien que selon Neil Sauvage, du Nature 2020 Index Artificial Intelligence, la Chine, les Etats-Unis et l’Europe se partagent le podium des leaders mondiaux du domaine, les pays arabes ne veulent également pas non plus rater cette opportunité estimée selon la société d’audit PricewaterhouseCoopers, à 15 700 milliards de dollars de contribution à l’économie mondiale d’ici 2030 dont 320 milliards pour la région Middle East North Africa.

 Dans cette folle course à la nouvelle industrialisation, trois pays se distinguent dans le monde arabe par leur potentiel à s’imposer comme de futurs hubs de l’intelligence artificielle dans la région. Ce sont les Emirats arabes Unis, l’Arabie Saoudite ainsi que l’Egypte. En effet, selon les recherches du PwC, la part estimée de l’IA d’ici 2030 dans le PIB des Emirats Arabes Unis est estimée à 13,6%, presque autant que les économies d’Amérique du Nord dont la part d’ici 2030 est estimée à 14,5%, à 12,5% pour l’Arabie Saoudite et enfin à 7,7% pour l’Egypte. Toutefois, ces prévisions réjouissantes ne sont que des prévisions et il s’agit maintenant aux concernés de mettre en place tout ce qu’il y a en leur pouvoir pour les réaliser. Signe révélateur que le message a été reçu : les gouvernements saoudiens et émiratis ont placé l’IA au centre de leurs stratégies économiques avec, respectivement, le programme Vision 2030 pour l’un, et le programme Artificial Intelligence Strategy 2031 pour l’autre. Le gouvernement égyptien a également donné une priorité à l’IA dans sa stratégie économique en voulant la développer au maximum.

Mais quelles sont réellement les raisons qui poussent ces gouvernements à donner autant d’importance au développement de l’IA ? Quels sont les moyens mis en place ? Y a -t-il déjà des résultats ? Ont-ils vraiment les moyens de leurs ambitions ? Quels sont les obstacles ?

Il s’agira de montrer dans cet article comment l’IA placée par ces gouvernements ambitieux en tant que priorité nationale entraîne la mise en place de projets pharamineux, devant toutefois faire face à des obstacles politiques et technologiques.

L’ intelligence artificielle : une priorité de gouvernements ambitieux

Quelles sont les raisons poussant les gouvernements arabes à investir dans l’intelligence artificielle ?

Un « cadeau empoisonné » . Voilà comment maintes économistes décrivent la rente pétrolière et gazière sur lesquelles reposent les économies du Golfe et ce en raison de la volatilité des prix de ces énergies mais également en réponse au développement constant d’énergies alternatives prêtes à supplanter les gaz et le pétrole. Il est urgent pour l’Arabie saoudite ainsi que pour les EAU de préparer la diversification de leurs économies afin de préparer leur économie à une nouvelle ère. L’investissement dans la technologie de l’IA représente donc une voie logique à suivre en ce qu’elle représente une opportunité de plus de 320 milliards de dollars pour les 10 ans à venir. De l’autre côté, l’ Egypte possède une économie certes diversifiée, mais qui se doit de redécoller après les nombreuses crises politiques de cette dernière décennie ayant paralysées le développement économique du pays. L’IA représente une voie privilégiée par son potentiel: d’ici dix ans, elle est susceptible de rapporter près de 43 milliards de dollars pour le pays.

Comment investissent-ils dans l’intelligence artificielle ? Quels sont les moyens mis en place ?

 De ces constats, les gouvernements ont fait du développement de toutes les technologies liées à l’IA des priorités nationales.

 Ainsi, en Arabie Saoudite, la stratégie gouvernementale pour l’IA se fonde principalement sur le projet Vision 2030 de diversification de l’économie. À celui-ci, s’ajoute un programme du nom de National Strategy for Data and AI (NSDAI) révélé en octobre 2020 à Riyadh lors du sommet Global de l’IA. L’objectif affiché par Riyad est de transformer pour 2030 le pays en hub mondial de l’intelligence artificielle en réformant totalement tous ses secteurs économiques afin de devenir “IA compatible”. Cette initiative gouvernementale s’accompagne donc de nombreux investissements du Fond Public Saoudien d’Investissement dans les industries, les secteurs privés et dans la mise en place de partenariats publics-privés en vue de développer l’intelligence artificielle. Cette année par exemple, le pays a formé des partenariats avec Google, Amazon et Oracle dans le but de, selon Saudi Press Agency, mettre en place des “programmes de formation" pour les étudiants saoudiens. L’objectif est ambitieux et les moyens de cette stratégie gouvernementale sont colossaux.

 Lors du sommet global saoudien de l’intelligence artificielle, le Président saoudien de l’Autorité des données et de l’intelligence artificielle a déclaré : « La stratégie nationale pour les données et l'IA définit l'orientation et les bases sur lesquelles nous allons libérer le potentiel des données et de l'IA pour répondre à nos priorités de transformation nationales et faire de l'Arabie saoudite une plaque tournante mondiale pour les données et l'IA. »
Quant aux Emirats Arabes Unis, la stratégie gouvernementale pour l’IA repose sur le programme Artificial Intelligence Strategy 2031 révélée en 2017. Le but affiché est d’accompagner la transformation digitale du pays pour faire des EAU un hub mondial de l'investissement dans l’intelligence artificielle dans de nombreux secteurs d’une manière “intelligente” et “éthique” en créant un système numérique intelligent pour le centenaire du pays en 2071. De ce fait, le pays a été le premier dans le monde à mettre en place, en 2017, un ministère consacré spécialement à l'IA aux côtés de la création de la Muhammad Ben Zayed University of Artificial Intelligence afin de répondre aux ambitions affichées.
Enfin, en Egypte, le gouvernement a, en 2019, instauré le Conseil National pour l’Intelligence Artificielle dans une logique de partenariats public-privé entre le gouvernement, les universités et les secteurs privés de l’IA. L’université Kafr El Sheikh a ouvert une faculté de l’IA sous l’impulsion gouvernementale. L’objectif affiché par le Ministère des Technologies de l'Information et de la Communication est d’identifier par la recherche les secteurs prioritaires nécessitant l’IA afin de mettre en place un système de l’IA “durable” et “intelligent” dans l'optique de donner au pays un rôle de “leader régional de l’IA”.
par Jean-Baptiste Dubois 20 oct., 2021

Propos introductif


 Au-delà du fait que Djibouti se situe sur le continent africain, ce pays mérite d'être abordé dans le cadre d'une analyse sur le monde arabe. En effet, les divers enjeux qui se jouent autour de ce territoire méritent une attention toute particulière pour comprendre une partie des dynamiques politiques actuelles dans le monde arabe. 

À ce titre, l’ambition djiboutienne de siéger au sein du conseil de sécurité de l’ONU, pour 2021-2022, témoigne de la volonté de son gouvernement de s’imposer sur la scène internationale et d'y représenter une voix africaine. Cette ambition s’inscrit dans le jeu de puissance qui s'opère au sein de ce territoire, mais avant d’aller plus loin dans les explications sur les motivations animant les dynamiques de ce pays, il convient d’apporter quelques éléments de définition et de contexte.

Tout d’abord, sur le volet géographique, Djibouti a une superficie de 23 200 km². En comparaison, celle de la France est de 643 801 km. Les villes principales de Djibouti sont Ali Sabieh, Dikhil, Arta, Tadjoura et Djibouti qui est la capitale du pays. Les langues officielles sont le français et l’arabe. La devise est le franc djiboutien (1€ = 208 FD, en 2018). Djibouti recense une population de 1 000 000 d’habitants en 2017 selon la Banque mondiale. Elle enregistre une croissance démographique de +1,6%/an. Un peu plus de la moitié de la population est alphabétisée (54,5% en 2015) et la religion majoritaire est l’Islam (96% du pays selon France Diplomatie). Avec son PIB de 1,97 milliard de US$, Djibouti se place au rang de la 49e puissance économique du continent africain sur 54.

Toutefois, Djibouti présente un intérêt des plus stratégiques, à savoir, sa position sur le détroit de Bab-el-Mandeb, un des corridors les plus fréquentés au monde qui contrôle l’accès à la Mer rouge. De surcroît, Djibouti est situé au cœur de l’arc de crise qui s’étend du Sahel au Moyen-Orient. Ses nombreuses crises régionales démontrent l’instabilité de la péninsule, d’où un certain engouement des puissances étrangères à intervenir en son sein.

Mais est-ce vraiment la raison primordiale ? Ces puissances étrangères sont-elles réellement motivées par la volonté de stabiliser cet État et sa région ? Ou bien ces interventions et cette présence extérieure attestent seulement d’une volonté de contrôler et de servir au mieux des intérêts qui façonnent le jeu des États ? Djibouti, au fond, ne serait-elle pas qu’une pièce maîtresse dans la conception prochaine du Moyen-Orient et du Sahel ?

Bien que ces interrogations soulèvent des questions fondamentales voire propices à des débats animés, il est nécessaire d’apporter des éléments historiques (I) dans le but d’identifier les raisons pour lesquelles les puissances extérieures agissent en son sein (II) qui viendront façonner un futur plus ou moins incertain pour la République de Djibouti et pour le Moyen-Orient (III).

par Jean-Baptiste Dubois 24 mai, 2021
Le monde arabe est loin d’être un élément figé aussi bien physiquement qu’idéologiquement. Dans une société caractérisée par des mouvements incessants de flux et d’échanges, s’intéresser à la diffusion de dogmes trouve toute sa pertinence pour mieux saisir les enjeux qui façonnent cette partie du globe. C’est dans cette logique que l’association Assas Monde Arabe se penche sur la question du terrorisme islamique au Mozambique.
par Seki Courcoux 11 mai, 2021
Les membres d'Assas Monde Arabe se présentent à vous, à-travers les ouvrages sur le Monde Arabe qui les ont marqués.
par Killian Cochet 23 avr., 2021

En 2005, pour le 60e anniversaire de l’ONU, l’Assemblée Générale des Nations Unies a écrit une page déterminante de l’histoire du droit international. Par un vote unanime, les Etats membres ont adopté dans l’acte final du Sommet mondial un concept promu depuis des années par des juristes et des acteurs humanitaires internationaux : la responsabilité de protéger (souvent abrégée en R2P pour Responsability to Protect). Cette responsabilité impose aux États et, le cas échéant, à la communauté internationale, de protéger les populations contre les crimes graves qui peuvent être commis à leur encontre.


La responsabilité de protéger a marqué une évolution décisive dans la conception juridique des relations internationales. L’espace supranational est régi depuis près de quatre siècles par le “système westphalien”, tiré du Traité de Westphalie de 1648 qui conclut la Guerre de Trente Ans. Ce système est caractérisé par une double définition de la souveraineté des Etats : une souveraineté externe qui s’exprime par une égalité de droit entre les Etats et une souveraineté interne qui confère à chaque Etat une autorité exclusive sur sa population et son territoire. Ce système a connu un important développement au XXe siècle, particulièrement concernant la souveraineté externe. De l’Entre-Deux-Guerres à l’issue de la Deuxième Guerre Mondiale, divers acteurs ont tenté de donner sa pleine puissance au concept de souveraineté externe en mettant “la guerre hors-la-loi” (Expression du ministre des Affaires Etrangères français, Aristide Briand, lors de sa présentation du pacte Kellog-Briand à l’Assemblée Nationale le 1er mars 2029), que ce soit par le Pacte Kellog-Briand ou par la Charte des Nations Unis. En revanche, le volet interne de la souveraineté demeurait l’angle mort du développement sécuritaire des Nations Unies. A l’exception de la Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide de 1948, peu de règles internationales régissaient les rapports entre un Etat et ses populations.


Néanmoins, à la sortie de la Guerre Froide, les conflits intra-étatiques et la protection des droits humains sont redevenus un enjeu majeur du droit international. Les années 1990 sont marquées par deux crises humanitaires que sont la guerre civile de Yougoslavie (1991-2001) et la guerre civile Rwandaise (1990-1994) qui prit un tournant génocidaire dans sa dernière année avec le massacre de près de 800 000 Tutsis et Hutus accusés de sympathiser avec l’ethnie massacrée (Rapport de l’ONU sur le génocide au Rwanda, 1999 : “Quelque 800 000 personnes ont été massacrées lors du génocide de 1994 au Rwanda”). Dans ce contexte de conflits internes, qu’ils soient hérités de la Décolonisation et de la Guerre Froide ou qu’ils s’agissent des “Nouvelles Guerres” caractéristiques de l’espace international post-Guerre Froide (KALDOR, Mary, New and Old Wars : Organized Violence in a Global Era, 2012), des acteurs politiques et humanitaires internationaux ont promu une évolution du droit pour prévenir de futurs excès de violence d’une telle ampleur.

Dès 1987, un colloque international organisé par la faculté de droit de Paris-Sud fait adopter à l’unanimité une résolution affirmant que “devraient être reconnus [...] par tous les Etats membres de la communauté internationale, à la fois le droit des victimes à l’assistance humanitaire et l’obligation des Etats d’y apporter leur contribution”. Cette résolution, qui sera portée plus tard devant les Nations Unies par la France, a notamment obtenu le soutien du juriste international de renom Mario Bettati et du fondateur de Médecins Sans Frontières Bernard Kouchner. Tandis que cette idée de “droit d’ingérence humanitaire” se répandait, deux discours allaient accélérer le passage au droit positif d’un concept de protection internationale des populations dans un cadre étatique.

Le premier fut donné par le Président de l’Afrique du Sud, Nelson Mandela, au Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Organisation de l’Unité Africaine à Ouagadougou, Burkina-Faso, en 1998. Nelson Mandela argumentait dans ce discours que le continent africain, partageant la marque du colonialisme et le néo-colonialisme, formait une communauté de destin et devait, en tant que tel, assurer communément la paix et la stabilité en son sein. Nelson Mandela, insistant sur la gestion commune de la sécurité qu’il promouvait pour le continent africain, affirmait qu’il était inacceptable “d’abuser du concept de souveraineté nationale pour nier au reste du continent le droit et le devoir d’intervenir, quand, au sein de cette souveraineté, le peuple est massacré pour protéger la tyrannie”.

Le second discours est celui du Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, devant l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2000 alors que le débat autour de l’intervention humanitaire divise la communauté internationale. A cette occasion, il déclara “s’il l’intervention humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica, devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l’homme, qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’être humain ?”. Ce discours marqua le début du processus de formalisation de la responsabilité de protéger et son intégration finale au droit international promu par les Nations Unies.

par Seki Courcoux 06 avr., 2021

« A Bâle j’ai fondé l’Etat juif », écrit Theodor Herzl écrit dans son journal, en septembre 1897. Ces mots sont ceux du journaliste juif autrichien qui a fondé l’Organisation Sioniste Mondiale (O.S.M.). Cette organisation à but non-lucratif, dont le siège social se trouve aujourd’hui à Jérusalem, en Israël, a été pendant un demi-siècle le fer de lance du mouvement sioniste.

Au sens moderne du terme, le sionisme renvoie à l’idée d’un retour du peuple juif vers la Terre Promise, et son établissement au-travers d’un Etat souverain. La ‘aliyah, la montée vers la terre biblique d’Israël, est un objectif qui a toujours existé, mais qui est longtemps resté propre à des franges restreintes : rabbins, universitaires, intellectuels religieux… Le mouvement sioniste, lui, s’est propagé au sein de populations très majoritairement européennes à partir du XIXe siècle, notamment parmi les élites intellectuelles et laïques de la communauté juive d’Europe centrale et de l’Est. Les pogroms, expulsions, pamphlets et autres exactions anti-Juifs - encore légion dans certaines régions alors que l’Europe était supposée avoir embrassé les Lumières et la modernité - ont motivé de nombreux Juifs européens à revendiquer leur droit de résidence, voire de souveraineté sur une terre sur laquelle ils ne seraient jamais l’Autre, l’Etranger : celle que Dieu leur a promise, correspondant à la région historique de la Palestine, alors sous domination ottomane.

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