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Le rap marocain : l'élévation d'une grande culture

  • par Eva Beauvois
  • 07 déc., 2021

La culture marocaine s’exporte de plus en plus grâce à la mondialisation et ses relais, tels qu’internet et les médias. Le roi Mohammed VI a par ailleurs proposé depuis le début de son règne une politique étrangère fondée sur le libre-échange des biens, services et arts ainsi que sur le dialogue avec nombre de pays européens. Cette ouverture progressive tend à favoriser toutes les couches de la société marocaine ainsi que ses manifestations artistiques, comme celle qu’est le rap.

Cette évolution du rap marocain profite à l’entièreté du monde arabophone et à son économie. Elle se justifie par la véritable ascension d’une unité artistique puissance. Néanmoins, les premiers acteurs de cette puissance, les artistes, font face à certains obstacles politiques et institutionnels censurant leur art ou leur empêchant de gagner décemment leur vie. Fort heureusement, les supports médiatiques et leur source inépuisable de créativité permettent aux artistes marocains de faire porter leur art le plus loin possible et aux oreilles des plus chanceux. L’objectif de cet article est de témoigner de l’élévation de la culture rap marocaine sur une grande scène, celle du Maroc et potentiellement celle de l’Europe ainsi que de la volonté sans faille des artistes marocains.


Une culture rap puissante et unie

Les routines créatives marocaines

La scène rap marocaine désire avant tout sécuriser sa place au sein de son propre pays. La jeunesse marocaine représente ⅓ de la population (environ 12 millions de personnes). Cette scène a donc une amplitude non négligeable, les jeunes citoyens étant la plupart du temps le public premier du rap. De plus, la jeunesse marocaine s’intéresse particulièrement à la politique, dans son sens premier, c’est à dire, ce qui concerne la cité, l’Etat. En effet, environ 15% des jeunes marocains sont membres actifs d’une association, contre moins d’1% membre d’un parti politique. Le rap marocain reflète très précisément cette réalité, car les artistes traitent de sujets populaires et des problématiques sociétales, sans pour autant se vouloir être partisans. La cohésion entre un artiste et son public est alors totale.

La diversité du rap marocain favorise paradoxalement son unité, en ce qu’elle permet la création de véritables chefs d'œuvres mettant sur un même accord les sensibilités différentes. Il est possible de citer en exemples, le freestyle de 7liwa sur une instrumentale d’Asap Rocky ou encore le célébrissime Darss Dl’Flow du groupe Shayfeen sur une instrumentale de Timbaland. Ces productions artistiques “brutes” car ce sont des freestyles, ont amené une visibilité exceptionnelle aux artistes mentionnés, prouvant que le lyricisme du darija et les mélodies américaines pouvaient se marier à la perfection et rendre unanime l’adhésion à de telles manifestations artistiques.  

Enfin, les routines artistiques du rap marocain sont également basées sur la coopération régionale. A ce titre, Casablanca est le bastion du rap marocain depuis quelques années. Son élément le plus célèbre actuellement est sans doute ElGrandeToto, mais il ne constitue pas un « empereur sur son territoire » en ce qu’il n’y a pas de rivalités entre les rappeurs de Casa, mais une simple différence de chiffres d’écoute. Le nombre de collaborations de cet artiste avec des artistes casawi est important, ce qui fait vivre la production artistique et la visibilité par le public de cette dernière.


Une ouverture sur un public plus large

Par ailleurs, les artistes de tout le pays se sont rassemblés, étant bien au courant que leur unité ferait leur force et leur succès auprès du public visé, les jeunesses maghrébine et arabe ainsi que celle européenne. Cette volonté d’unification a résulté en plusieurs collaborations, éphémères et parfois permanentes. Par exemple, le titre Tcha ra (ndlr : une des traductions possibles est « wesh ») a été réalisé en collaboration des artistes Madd, Ouenza, El Grande Toto et West pour un titre appartenant au groupe Shayfeen (composé des deux rappeurs Small X et Shobee). Ce titre cumule neuf millions de vues sur Youtube et presque un million d’écoutes sur Spotify. Il est d’ailleurs l’apanage de volonté de la collectivité du rap marocain de se rapprocher du public français, le clip étant filmé à Paris et dont un reportage a expliqué la symbolique : « On est en train de créer la passerelle entre le Maroc et la France, il ne faut pas que ça passe inaperçu » selon El Grande Toto.


Cover officielle du titre Tcha ra de Shayfeen (ft. Madd, West, El Grande Toto et Ouenza)

Le rap marocain se globalise et crée ce « pont » entre le Maroc et l’Europe si désiré grâce aux talents locaux mais également par certaines collaborations internationales précieuses. Par exemple, le dernier album de EGT Caméléon inclut le titre Mgahyer (trad : différent) avec un beatmaker français du nom de Ysos. Dans ce même album, on retrouve des collaborations avec les rappeurs belges Damso et Hamza et une collaboration avec Lefa, artiste français.

  Au-delà de la collaboration entre la scène marocaine et les artistes européens, les marocains ont également désiré se produire avec des rappeurs tunisiens comme Balti et A.L.A. Ces collaborations ont par ailleurs été frappées d’un vif succès, avec un total de 50 millions de vues pour Yema et 10 millions de vues pour Nharzin. Les collaborations internationales précieuses permettent à la culture rap marocaine de ne s’exporter que si c’est nécessaire et bien réalisé, à la différence de certains artistes américains par exemple, en n’oubliant pas la place première qu’occupe le public marocain dans le cœur des artistes.

La barrière de la langue disparaît grâce aux artistes de cette nouvelle vague. En effet, en mettant de côté les sites de traductions bien implantés depuis quelques années déjà, les artistes eux-mêmes s’engagent dans de nouvelles routines lyriques en incorporant des langages tout aussi globalisés que l’arabe : l’anglais et l’espagnol. Le français aussi peut se retrouver dans quelques couplets. De cette manière, un public plus large territorialement peut écouter les productions artistiques des rappeurs marocains, aidés par l’écoute en streaming disponible dans quasiment tous les pays. À l’image des contenus raps internationaux, le travail de la mélodie prime désormais sur les paroles - même si ce n’est pas exclusivement le cas chez tous les rappeurs -, permettant une réelle appréciation du travail de l’artiste sans blocage de l’écoute chez une personne non-arabophone.

  Il serait complexe et vain de vouloir retranscrire une recette unique du succès et de l’expansion du rap marocain. Simplement, il est possible de constater que les artistes ont su préserver et prioriser le talent local afin de s’exporter précieusement à l’international dans un second temps.


Les obstacles des artistes marocains

Certains artistes parlent ouvertement des problèmes politiques institutionnels bloquant l’expansion et parfois la survivance seule de la culture rap marocaine au niveau qu’elle aurait pu atteindre sans ces mêmes obstacles.
La censure politique

Quelques artistes marocains peuvent se voir brider dans leur art, notamment par une certaine censure quant aux sujets jugés trop politiques. Nombreux se souviennent de l’affaire impliquant le rappeur El 7a9ed arrêté en 2011, officiellement pour une affaire de “coups et blessures”, officieusement pour ses propos dénonçant la situation misérable de la jeunesse marocaine face à l’inactivité du Royaume. Il qualifiait d’ailleurs son rap comme un “rap prisonnier” puisqu’il avait vu aux débuts de sa carrière artistique plusieurs interventions policières lors de ses concerts ou de représentations artistiques en général.

Cette censure politique découle directement de la volonté du gouvernement et du Royaume, en général, d’avoir un certain regard sur les expressions artistiques du peuple. Or, cet obstacle concret et handicapant pour les artistes tend à s’amenuiser au fur et à mesure de la prise de pouvoir de ceux-ci et de leur rayonnement à l’international, ayant alors plus de place pour s’exprimer.


 L'inactivité institutionnelle de l'industrie musicale marocaine

« Est-ce que c’est compliqué de faire du rap au Maroc ? » demande une journaliste de Clique TV au célèbre rappeur Small X lors d’une interview du groupe Shayfeen en 2019. Il répond alors : « Maintenant il y a internet, ce n’est pas compliqué. Mais si tu veux professionnaliser ta carrière et grandir, c’est plus dur ». C’est sur cette particularité que le rap marocain subit des obstacles conséquents et qu’il fait alors preuve d’une résilience certaine. Il n’existe pas de réelles subventions gouvernementales pour aider les artistes à vivre de leur art. Plus étrangement encore, bien qu’il existe un Bureau Marocain du Droit d’Auteur, les rappeurs marocains ne peuvent pas faire comptabiliser leur “streams” (nombre d’écoutes sur les plateformes en ligne) dans le but de recevoir des disques (d’or, argent, platine…). Le nombre d'écoutes apparaît sur ces mêmes plateformes, mais leur évolution ne permet pas à l’artiste d’en bénéficier concrètement.  

« Au Maroc, tu fais 6 à 10 fois les efforts d’un artiste qui est dans un pays développé artistiquement et industriellement » affirme Shobee. Il est important de constater l’écart de moyens et de ressources entre les artistes marocains, et même pour les plus écoutés comme ceux du groupe Shayfeen (ndlr : désormais séparé) ou encore 7liwa, et les artistes occidentaux. Être un des artistes les plus écoutés au Maroc ne signifie pas pouvoir être signé en maison de disque, ni même percevoir une quelconque aide matérielle gouvernementale pour sécuriser son quotidien de travailleur de la musique. Cette réalité peut être décourageante mais, s’il y a bien un seul mot qui pourrait décrire les artistes marocains, c’est celui de la résilience.


Les nouvelles armes du rap marocain

Malgré ces obstacles conséquents pour la survie du métier d’artiste au Maroc, les rappeurs ont su se doter de nouvelles armes, telles que la diversification artistique ou encore les réseaux médiatiques.
La brillante diversification artistique

Les artistes musicaux ont récemment été incités à produire des contenus sortant du cadre de la musique pure, notamment par des clips musicaux ou parfois des courts-métrages. Cette diversification artistique permet un rayonnement plus important de la symbolique voulue par le musicien. C’est dans ce cadre que la rappeuse Khtek a revêtu le symbole mondialisé de la cause féministre “the future is women” dans son clip KickOff sur une production de Kartman. Cette prise de position claire complète son art lyrique et permet au spectateur d’en apprendre plus sur la personnalité du musicien.

L’art du reportage musical permet également aux non arabophones de découvrir sous un angle informatif la vraie vie de leurs artistes favoris, de leurs opinions sur leur industrie et leur travail quotidien de production artistique. Un documentaire a particulièrement été brillamment réalisé par Fatim Zahra Bencherki sur le groupe Shayfeen. Il a notamment été doublement récompensé, en 2019, au festival de la Méditerranée en images. Il a remporté le prix international du documentaire ainsi que le prix du meilleur reportage méditerranéen. Ce reportage suit Small X et Shobee, les deux membres du groupe Shayfeen au sein de leur ville, Safi, et lors de leurs représentations en concerts. Il permet de se rendre compte des difficultés, quant aux institutions mais aussi aux regards familiaux, des deux interprètes à confectionner leur art. Mais il offre l’opportunité de connaître un peu plus le cheminement artistique et les motivations des deux musiciens pour représenter au mieux la scène musicale marocaine. Ce reportage est un véritable chef-d'œuvre et nous ne pouvons que vous conseiller d'y jeter un œil. Il est disponible gratuitement sur la chaîne youtube officielle de retransmission du reportage : https://youtu.be/qybtA_nM-dI.

 L'amplitude phénoménale des réseaux médiatiques

L’arme utilisée par les artistes marocains qui leur profite le plus est sans doute Internet. Plus particulièrement, les réseaux médiatiques. Ceux-ci peuvent être les cérémonies de remise de prix, diffusées principalement sur Internet pour cause de pandémie. Les trois artistes marocains Dizzy Dros, Manal Benchlikha et El Grande Toto ont été primés aux All Africa Music Awards de cette année (Afrima Awards 2021). Ce rayonnement intercontinental est nécessaire et fait la fierté du peuple marocain. Manal Benchikha a été sacrée meilleure artiste féminine d’Afrique du Nord. Dizzy Dros a obtenu le prix du meilleur artiste masculin d’Afrique du Nord et El Grande Toto a reçu le prix de l’artiste africain le plus prometteur. Cette reconnaissance musicale et populaire du travail sans faille des chanteuses marocaines (pour Manal Benchikha) et des rappeurs marocains (pour Dizzy Dros et ElGrandeToto) est nécessaire pour leur rayonnement. Il est aussi la bienvenue pour arriver, peut-être, à un changement institutionnel au sein du Royaume dans l’optique de préserver les rappeurs contre la misère sociale.

A des fins de conclusion, il est important de témoigner que la culture rap marocaine est brillante et volontaire, aux seules fins nobles de l'ascension du Maroc et de sa culture, malgré les obstacles rencontrés. Afin de relater cette persévérance et pour ne seulement citer que les protagonistes ayant inspiré cet article :

                                         علماتني الوقت كيفاش

                                         نقدر ندير كلشي بوالو

(Traduction : “La vie m'a montré comment faire tout avec avec rien”, Shayfeen- 7it 3arfinni)

Le célèbre rappeur Small X (ancien membre du groupe Shayfeen aux côtés de Shobee) se produira en concert en France les 20 et 2 février prochains, respectivement à Marseille et dans la capitale. Nous ne pouvons que vous encourager à écouter les productions de Small X voire à se rendre à son concert, son art représentant véritablement l’excellence et la longévité du rap marocain, fruit d’une carrière de plus de 15 ans. Voici le lien de la billetterie pour ses deux concerts :

https://linktr.ee/smallxbilletterie


Affiches officielles pour les concerts de Small X à Marseille et à Paris, design par Jolio Kabbi
par Eva Beauvois 22 mars, 2022
 La religion musulmane, qui regroupe près d’un milliard et demi de fidèles, repose sur plusieurs dimensions touchant l’Homme au sein de sa société et de son époque : les dimensions théologiques et juridiques. Néanmoins, il existe une dimension de l’Islam qui permet, et incite, l’individu au détachement de son environnement pour se recentrer sur sa seule unicité avec Dieu : la dimension spirituelle, notamment matérialisée par la philosophie du soufisme. L’étymologie du terme, apparu vers la fin du IIe siècle de l’hégire, reste obscure. C’est notamment sur le mot sūfī qu’est formé en arabe tasawwuf (تصوّف) , littéralement « l’adoption des valeurs et des rites soufis », que le français a traduit par « soufisme ». De façon générale, il est néanmoins possible de le caractériser comme la recherche de la sagesse intérieure, visant à se rapprocher de façon évolutive de Dieu par de nobles vertus. La présentation de ce travail idéologique d’espérance du meilleur sera l’objet de cet article.
par Jâd Delozanne 08 mars, 2022
L'art de l'Espagne islamique est un fantasme orientaliste depuis que Washington Irving l'a redécouvert pour le monde occidental dans ses délicieux Contes de l'Alhambra, écrits en 1832. Mais la citadelle et le palais du XIIIe siècle, situés au sommet d'une colline surplombant Grenade, sont non seulement les monuments les plus connus de l'ère musulmane en Espagne, mais aussi les plus grands trésors de cette période. Les Omeyyades, ou Umayyades, (en arabe : الأمــــویــــون sont une dynastie arabe qui gouverne le monde musulman de 661 à 750 puis al-ʾAndalus de 756 à 1031. Ils tiennent leur nom de leur ancêtre ʾUmayyah ibn ʿAbd Šams, grand-oncle du prophète Mahomet. Ils font partie des clans les plus puissants de la tribu de Qurayš, qui domine la Mecque. Al-Andalus était la partie de la péninsule ibérique sous domination musulmane. La péninsule ibérique désigne l'Espagne et le Portugal actuels. Dans sa plus grande extension géographique, Al-Andalus a placé sous son califat la majeure partie de la péninsule, l'actuel sud de la France et les cols alpins reliant l'Italie à l'Europe occidentale. Les musulmans ont régné sur la majeure partie de la péninsule jusqu'à la fin de la dynastie des Omeyyades au début du 11e siècle.
par Julien Groux 08 févr., 2022

 Considérées individuellement, les économies nationales ne semblent pas avoir été affectées de la même manière par la récession économique liée à la crise sanitaire. Celle-ci a montré les forces et les faiblesses, les capacités d’adaptation et de résilience, révélé les particularités de chaque économie. La crise est un moment où tout bascule, où apparaît un dysfonctionnement majeur. Si elle peut être une période de troubles, la crise peut aussi être un kaïros, un moment à saisir pour savoir et comprendre. Parce qu’elle révèle le réel , elle est une occasion formidable de s’interroger sur le fonctionnement d’une société. Pour dire simplement comme le fait le philosophe Charles Pépin, « c’est quand cela ne marche pas que nous nous demandons comment cela marche ». Ainsi, la crise sanitaire en ce qu’elle expose les singularités propres à chaque système économique conduit ici à s’intéresser, à travers la finance islamique, à la relation qu’il existe entre religion, notamment l’Islam, le droit et l’économie.

Alors que l’Islam était pour Max Weber un obstacle au développement économique, la finance islamique est aujourd’hui en plein essor. Relativement récente, elle a pour point de départ la création de la Banque islamique du développement en 1974 qui fait la promotion du développement économique dans les pays musulmans. Les banques occidentales s’intéressent à la finance islamique qui, bien que s’adressant en priorité aux musulmans reste ouverte sur le monde. La finance islamique passionne par son appartenance à une industrie financière éthique remise en lumière par la crise des subprimes de 2008. Les principes religieux s’inscrivent dans le droit qui régule l’activité bancaire islamique.

par Sofia Locquet 01 févr., 2022
En 1854, un diplomate français, Ferdinand de Lesseps, obtient l’autorisation de la part du khédive Mohammed Saïd de creuser et d’exploiter le canal maritime de Suez pendant 99 ans. Ce firman ouvre la voie à la création de la Compagnie de Suez, concession qui illustre l’intervention des puissances européennes en Égypte. Reliant la Mer Méditerranée et la Mer rouge, situé entre l’Europe et l’Asie, le canal est un lieu géostratégique majeur qui va servir à la fois les intérêts régionaux et commerciaux de l’Égypte ottomane et l’impérialisme européen.
par Housni Ahamada 16 nov., 2021
 Dans la continuité de son programme Vision 2030, le Royaume d’Arabie Saoudite a, le 25 août 2021, annoncé le lancement d’une série de partenariats, d’une valeur de plus de 4 milliards de riyals saoudiens (900 millions d’euros), avec les plus grandes entreprises technologiques du monde. Selon Saudi Press Agency, les objectifs fixés par le royaume sont d’améliorer les capacités numériques, de se doter d’une main d'œuvre qualifiée en encourageant la recherche et le développement afin de faire du pays un hub mondial de l’innovation numérique.

Ce récent évènement montre l’ambition de l’Arabie Saoudite, mais plus généralement des pays arabes, dans la course mondiale à l’innovation technologique et plus particulièrement dans le secteur de l’intelligence artificielle. Machine learning, deep learning, voitures autonomes, reconnaissance faciale, villes intelligentes et même robots pour certains ; les grandes puissances de ce monde sont entrées dans une course à l’innovation dans l’intelligence artificielle, considérée comme la quatrième grande industrialisation. Bien que selon Neil Sauvage, du Nature 2020 Index Artificial Intelligence, la Chine, les Etats-Unis et l’Europe se partagent le podium des leaders mondiaux du domaine, les pays arabes ne veulent également pas non plus rater cette opportunité estimée selon la société d’audit PricewaterhouseCoopers, à 15 700 milliards de dollars de contribution à l’économie mondiale d’ici 2030 dont 320 milliards pour la région Middle East North Africa.

 Dans cette folle course à la nouvelle industrialisation, trois pays se distinguent dans le monde arabe par leur potentiel à s’imposer comme de futurs hubs de l’intelligence artificielle dans la région. Ce sont les Emirats arabes Unis, l’Arabie Saoudite ainsi que l’Egypte. En effet, selon les recherches du PwC, la part estimée de l’IA d’ici 2030 dans le PIB des Emirats Arabes Unis est estimée à 13,6%, presque autant que les économies d’Amérique du Nord dont la part d’ici 2030 est estimée à 14,5%, à 12,5% pour l’Arabie Saoudite et enfin à 7,7% pour l’Egypte. Toutefois, ces prévisions réjouissantes ne sont que des prévisions et il s’agit maintenant aux concernés de mettre en place tout ce qu’il y a en leur pouvoir pour les réaliser. Signe révélateur que le message a été reçu : les gouvernements saoudiens et émiratis ont placé l’IA au centre de leurs stratégies économiques avec, respectivement, le programme Vision 2030 pour l’un, et le programme Artificial Intelligence Strategy 2031 pour l’autre. Le gouvernement égyptien a également donné une priorité à l’IA dans sa stratégie économique en voulant la développer au maximum.

Mais quelles sont réellement les raisons qui poussent ces gouvernements à donner autant d’importance au développement de l’IA ? Quels sont les moyens mis en place ? Y a -t-il déjà des résultats ? Ont-ils vraiment les moyens de leurs ambitions ? Quels sont les obstacles ?

Il s’agira de montrer dans cet article comment l’IA placée par ces gouvernements ambitieux en tant que priorité nationale entraîne la mise en place de projets pharamineux, devant toutefois faire face à des obstacles politiques et technologiques.

L’ intelligence artificielle : une priorité de gouvernements ambitieux

Quelles sont les raisons poussant les gouvernements arabes à investir dans l’intelligence artificielle ?

Un « cadeau empoisonné » . Voilà comment maintes économistes décrivent la rente pétrolière et gazière sur lesquelles reposent les économies du Golfe et ce en raison de la volatilité des prix de ces énergies mais également en réponse au développement constant d’énergies alternatives prêtes à supplanter les gaz et le pétrole. Il est urgent pour l’Arabie saoudite ainsi que pour les EAU de préparer la diversification de leurs économies afin de préparer leur économie à une nouvelle ère. L’investissement dans la technologie de l’IA représente donc une voie logique à suivre en ce qu’elle représente une opportunité de plus de 320 milliards de dollars pour les 10 ans à venir. De l’autre côté, l’ Egypte possède une économie certes diversifiée, mais qui se doit de redécoller après les nombreuses crises politiques de cette dernière décennie ayant paralysées le développement économique du pays. L’IA représente une voie privilégiée par son potentiel: d’ici dix ans, elle est susceptible de rapporter près de 43 milliards de dollars pour le pays.

Comment investissent-ils dans l’intelligence artificielle ? Quels sont les moyens mis en place ?

 De ces constats, les gouvernements ont fait du développement de toutes les technologies liées à l’IA des priorités nationales.

 Ainsi, en Arabie Saoudite, la stratégie gouvernementale pour l’IA se fonde principalement sur le projet Vision 2030 de diversification de l’économie. À celui-ci, s’ajoute un programme du nom de National Strategy for Data and AI (NSDAI) révélé en octobre 2020 à Riyadh lors du sommet Global de l’IA. L’objectif affiché par Riyad est de transformer pour 2030 le pays en hub mondial de l’intelligence artificielle en réformant totalement tous ses secteurs économiques afin de devenir “IA compatible”. Cette initiative gouvernementale s’accompagne donc de nombreux investissements du Fond Public Saoudien d’Investissement dans les industries, les secteurs privés et dans la mise en place de partenariats publics-privés en vue de développer l’intelligence artificielle. Cette année par exemple, le pays a formé des partenariats avec Google, Amazon et Oracle dans le but de, selon Saudi Press Agency, mettre en place des “programmes de formation" pour les étudiants saoudiens. L’objectif est ambitieux et les moyens de cette stratégie gouvernementale sont colossaux.

 Lors du sommet global saoudien de l’intelligence artificielle, le Président saoudien de l’Autorité des données et de l’intelligence artificielle a déclaré : « La stratégie nationale pour les données et l'IA définit l'orientation et les bases sur lesquelles nous allons libérer le potentiel des données et de l'IA pour répondre à nos priorités de transformation nationales et faire de l'Arabie saoudite une plaque tournante mondiale pour les données et l'IA. »
Quant aux Emirats Arabes Unis, la stratégie gouvernementale pour l’IA repose sur le programme Artificial Intelligence Strategy 2031 révélée en 2017. Le but affiché est d’accompagner la transformation digitale du pays pour faire des EAU un hub mondial de l'investissement dans l’intelligence artificielle dans de nombreux secteurs d’une manière “intelligente” et “éthique” en créant un système numérique intelligent pour le centenaire du pays en 2071. De ce fait, le pays a été le premier dans le monde à mettre en place, en 2017, un ministère consacré spécialement à l'IA aux côtés de la création de la Muhammad Ben Zayed University of Artificial Intelligence afin de répondre aux ambitions affichées.
Enfin, en Egypte, le gouvernement a, en 2019, instauré le Conseil National pour l’Intelligence Artificielle dans une logique de partenariats public-privé entre le gouvernement, les universités et les secteurs privés de l’IA. L’université Kafr El Sheikh a ouvert une faculté de l’IA sous l’impulsion gouvernementale. L’objectif affiché par le Ministère des Technologies de l'Information et de la Communication est d’identifier par la recherche les secteurs prioritaires nécessitant l’IA afin de mettre en place un système de l’IA “durable” et “intelligent” dans l'optique de donner au pays un rôle de “leader régional de l’IA”.
par Jean-Baptiste Dubois 20 oct., 2021

Propos introductif


 Au-delà du fait que Djibouti se situe sur le continent africain, ce pays mérite d'être abordé dans le cadre d'une analyse sur le monde arabe. En effet, les divers enjeux qui se jouent autour de ce territoire méritent une attention toute particulière pour comprendre une partie des dynamiques politiques actuelles dans le monde arabe. 

À ce titre, l’ambition djiboutienne de siéger au sein du conseil de sécurité de l’ONU, pour 2021-2022, témoigne de la volonté de son gouvernement de s’imposer sur la scène internationale et d'y représenter une voix africaine. Cette ambition s’inscrit dans le jeu de puissance qui s'opère au sein de ce territoire, mais avant d’aller plus loin dans les explications sur les motivations animant les dynamiques de ce pays, il convient d’apporter quelques éléments de définition et de contexte.

Tout d’abord, sur le volet géographique, Djibouti a une superficie de 23 200 km². En comparaison, celle de la France est de 643 801 km. Les villes principales de Djibouti sont Ali Sabieh, Dikhil, Arta, Tadjoura et Djibouti qui est la capitale du pays. Les langues officielles sont le français et l’arabe. La devise est le franc djiboutien (1€ = 208 FD, en 2018). Djibouti recense une population de 1 000 000 d’habitants en 2017 selon la Banque mondiale. Elle enregistre une croissance démographique de +1,6%/an. Un peu plus de la moitié de la population est alphabétisée (54,5% en 2015) et la religion majoritaire est l’Islam (96% du pays selon France Diplomatie). Avec son PIB de 1,97 milliard de US$, Djibouti se place au rang de la 49e puissance économique du continent africain sur 54.

Toutefois, Djibouti présente un intérêt des plus stratégiques, à savoir, sa position sur le détroit de Bab-el-Mandeb, un des corridors les plus fréquentés au monde qui contrôle l’accès à la Mer rouge. De surcroît, Djibouti est situé au cœur de l’arc de crise qui s’étend du Sahel au Moyen-Orient. Ses nombreuses crises régionales démontrent l’instabilité de la péninsule, d’où un certain engouement des puissances étrangères à intervenir en son sein.

Mais est-ce vraiment la raison primordiale ? Ces puissances étrangères sont-elles réellement motivées par la volonté de stabiliser cet État et sa région ? Ou bien ces interventions et cette présence extérieure attestent seulement d’une volonté de contrôler et de servir au mieux des intérêts qui façonnent le jeu des États ? Djibouti, au fond, ne serait-elle pas qu’une pièce maîtresse dans la conception prochaine du Moyen-Orient et du Sahel ?

Bien que ces interrogations soulèvent des questions fondamentales voire propices à des débats animés, il est nécessaire d’apporter des éléments historiques (I) dans le but d’identifier les raisons pour lesquelles les puissances extérieures agissent en son sein (II) qui viendront façonner un futur plus ou moins incertain pour la République de Djibouti et pour le Moyen-Orient (III).

par Jean-Baptiste Dubois 24 mai, 2021
Le monde arabe est loin d’être un élément figé aussi bien physiquement qu’idéologiquement. Dans une société caractérisée par des mouvements incessants de flux et d’échanges, s’intéresser à la diffusion de dogmes trouve toute sa pertinence pour mieux saisir les enjeux qui façonnent cette partie du globe. C’est dans cette logique que l’association Assas Monde Arabe se penche sur la question du terrorisme islamique au Mozambique.
par Seki Courcoux 11 mai, 2021
Les membres d'Assas Monde Arabe se présentent à vous, à-travers les ouvrages sur le Monde Arabe qui les ont marqués.
par Killian Cochet 23 avr., 2021

En 2005, pour le 60e anniversaire de l’ONU, l’Assemblée Générale des Nations Unies a écrit une page déterminante de l’histoire du droit international. Par un vote unanime, les Etats membres ont adopté dans l’acte final du Sommet mondial un concept promu depuis des années par des juristes et des acteurs humanitaires internationaux : la responsabilité de protéger (souvent abrégée en R2P pour Responsability to Protect). Cette responsabilité impose aux États et, le cas échéant, à la communauté internationale, de protéger les populations contre les crimes graves qui peuvent être commis à leur encontre.


La responsabilité de protéger a marqué une évolution décisive dans la conception juridique des relations internationales. L’espace supranational est régi depuis près de quatre siècles par le “système westphalien”, tiré du Traité de Westphalie de 1648 qui conclut la Guerre de Trente Ans. Ce système est caractérisé par une double définition de la souveraineté des Etats : une souveraineté externe qui s’exprime par une égalité de droit entre les Etats et une souveraineté interne qui confère à chaque Etat une autorité exclusive sur sa population et son territoire. Ce système a connu un important développement au XXe siècle, particulièrement concernant la souveraineté externe. De l’Entre-Deux-Guerres à l’issue de la Deuxième Guerre Mondiale, divers acteurs ont tenté de donner sa pleine puissance au concept de souveraineté externe en mettant “la guerre hors-la-loi” (Expression du ministre des Affaires Etrangères français, Aristide Briand, lors de sa présentation du pacte Kellog-Briand à l’Assemblée Nationale le 1er mars 2029), que ce soit par le Pacte Kellog-Briand ou par la Charte des Nations Unis. En revanche, le volet interne de la souveraineté demeurait l’angle mort du développement sécuritaire des Nations Unies. A l’exception de la Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide de 1948, peu de règles internationales régissaient les rapports entre un Etat et ses populations.


Néanmoins, à la sortie de la Guerre Froide, les conflits intra-étatiques et la protection des droits humains sont redevenus un enjeu majeur du droit international. Les années 1990 sont marquées par deux crises humanitaires que sont la guerre civile de Yougoslavie (1991-2001) et la guerre civile Rwandaise (1990-1994) qui prit un tournant génocidaire dans sa dernière année avec le massacre de près de 800 000 Tutsis et Hutus accusés de sympathiser avec l’ethnie massacrée (Rapport de l’ONU sur le génocide au Rwanda, 1999 : “Quelque 800 000 personnes ont été massacrées lors du génocide de 1994 au Rwanda”). Dans ce contexte de conflits internes, qu’ils soient hérités de la Décolonisation et de la Guerre Froide ou qu’ils s’agissent des “Nouvelles Guerres” caractéristiques de l’espace international post-Guerre Froide (KALDOR, Mary, New and Old Wars : Organized Violence in a Global Era, 2012), des acteurs politiques et humanitaires internationaux ont promu une évolution du droit pour prévenir de futurs excès de violence d’une telle ampleur.

Dès 1987, un colloque international organisé par la faculté de droit de Paris-Sud fait adopter à l’unanimité une résolution affirmant que “devraient être reconnus [...] par tous les Etats membres de la communauté internationale, à la fois le droit des victimes à l’assistance humanitaire et l’obligation des Etats d’y apporter leur contribution”. Cette résolution, qui sera portée plus tard devant les Nations Unies par la France, a notamment obtenu le soutien du juriste international de renom Mario Bettati et du fondateur de Médecins Sans Frontières Bernard Kouchner. Tandis que cette idée de “droit d’ingérence humanitaire” se répandait, deux discours allaient accélérer le passage au droit positif d’un concept de protection internationale des populations dans un cadre étatique.

Le premier fut donné par le Président de l’Afrique du Sud, Nelson Mandela, au Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Organisation de l’Unité Africaine à Ouagadougou, Burkina-Faso, en 1998. Nelson Mandela argumentait dans ce discours que le continent africain, partageant la marque du colonialisme et le néo-colonialisme, formait une communauté de destin et devait, en tant que tel, assurer communément la paix et la stabilité en son sein. Nelson Mandela, insistant sur la gestion commune de la sécurité qu’il promouvait pour le continent africain, affirmait qu’il était inacceptable “d’abuser du concept de souveraineté nationale pour nier au reste du continent le droit et le devoir d’intervenir, quand, au sein de cette souveraineté, le peuple est massacré pour protéger la tyrannie”.

Le second discours est celui du Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, devant l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2000 alors que le débat autour de l’intervention humanitaire divise la communauté internationale. A cette occasion, il déclara “s’il l’intervention humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica, devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l’homme, qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’être humain ?”. Ce discours marqua le début du processus de formalisation de la responsabilité de protéger et son intégration finale au droit international promu par les Nations Unies.

par Seki Courcoux 06 avr., 2021

« A Bâle j’ai fondé l’Etat juif », écrit Theodor Herzl écrit dans son journal, en septembre 1897. Ces mots sont ceux du journaliste juif autrichien qui a fondé l’Organisation Sioniste Mondiale (O.S.M.). Cette organisation à but non-lucratif, dont le siège social se trouve aujourd’hui à Jérusalem, en Israël, a été pendant un demi-siècle le fer de lance du mouvement sioniste.

Au sens moderne du terme, le sionisme renvoie à l’idée d’un retour du peuple juif vers la Terre Promise, et son établissement au-travers d’un Etat souverain. La ‘aliyah, la montée vers la terre biblique d’Israël, est un objectif qui a toujours existé, mais qui est longtemps resté propre à des franges restreintes : rabbins, universitaires, intellectuels religieux… Le mouvement sioniste, lui, s’est propagé au sein de populations très majoritairement européennes à partir du XIXe siècle, notamment parmi les élites intellectuelles et laïques de la communauté juive d’Europe centrale et de l’Est. Les pogroms, expulsions, pamphlets et autres exactions anti-Juifs - encore légion dans certaines régions alors que l’Europe était supposée avoir embrassé les Lumières et la modernité - ont motivé de nombreux Juifs européens à revendiquer leur droit de résidence, voire de souveraineté sur une terre sur laquelle ils ne seraient jamais l’Autre, l’Etranger : celle que Dieu leur a promise, correspondant à la région historique de la Palestine, alors sous domination ottomane.

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